Accueil / Citoyens / Patrimoine / Espace #PatrimoineVDQ / 2018 / Chronique toponymique : côte à Gignac
Texte de Marie-Ève Muller
Cette chronique mensuelle rend hommage aux histoires cachées derrière les noms des rues et parcs de Québec. Chaque mois, un auteur émergent soutenu par Première Ovation s’inspire du patrimoine pour créer de courtes œuvres où le réel croise l’imaginaire. En juillet, découvrez la côte à Gignac.
Côte à Gignac
La brise d’avril me mord les joues. Vêtu simplement de ma plus belle chemise blanche, je frissonne en m’éloignant du fleuve. Dans quelques secondes, je monterai la côte, et j’aurai chaud.
La bourrasque s’amuse à m’asséner des flocons tardifs en plein visage tandis que je m’avance sur le chemin du Foulon. Je ferme les yeux pour me protéger, mes pieds suivent la route qu’ils ont tant de fois parcourue. Et puis, ainsi aveugle, je progresse doucement, sans me fatiguer. Je veux arriver impeccable chez elle.
Lorsque la rue devient la côte à Gignac, l’inclinaison s’accentue. Je monte en cherchant l’équilibre parfait entre les mollets qui chauffent et le dos sec. Dès que je sens la sueur perler, je m’arrête. J’en profite pour regarder le Saint-Laurent tout en bas de la côte, les bateaux qui passent sur l’eau libérée de ses glaces. Pendant quelques secondes, les maisons sur la rive sud appartiennent à la Nouvelle-Angleterre. Je peux oublier que le fleuve n’a pas encore pris la pleine mesure de son sel.
Je savoure le moment tout court qui me sépare de ma douce, ce flottement entre l’ennui et les retrouvailles. Voilà trois semaines que nous ne nous sommes pas vus, que je languis dans le silence de sa voix. Le cri d’un goéland volant au-dessus de ma tête m’enjoint à reprendre la route. Dans deux courbes, j’aurai passé cinq boites aux lettres avec le même nom dessus et j’arriverai enfin chez elle.
La belle Marguerite Gignac m’attend, et je veux être impeccable lorsqu’elle m’ouvrira la porte. Mon veston de tweed bat la mesure son mon flanc droit, je le déplie pour vérifier qu’il n’est pas froissé, le replie. Mon cœur cogne, mon souffle s’accélère malgré que l’angle de la côte s’est adouci. Dans la poche de mes pantalons, la petite boite en bois ouvragée forme une bosse carrée. Plus qu’une courbe, et je poserai un genou par terre.
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