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Texte de Maxime Plamondon
Cette chronique mensuelle rend hommage aux histoires cachées derrière les noms des rues et parcs de Québec. Chaque mois, un auteur émergent soutenu par Première Ovation s’inspire du patrimoine pour créer de courtes œuvres où le réel croise l’imaginaire. En décembre, réchauffez-vous avec un conte inspiré par la rue de la Constellation.
Rue de la Constellation
Durant la Révolution tranquille, la chasse au rhinocéros des bois, bête rare des forêts du Québec, a gagné en popularité. Tous convoitaient la grande corne éminente de l’animal, dont les vertus rêveuses stimulaient les esprits déjà enfiévrés. Par une nuit de novembre milneufcentsoixantequelque, François Ménard, noctambule notoire, s’est enfoncé dans les bois du nord de Charlesbourg afin de débusquer un spécimen qu’on prétendait avoir vu dans la région quelque temps plus tôt. La lune brillait haute, Ménard a donc cru qu’il serait aisé de repérer l’animal; les témoins rapportaient que sa carapace luisait comme un miroir.
De fait, le chasseur a croisé la bête à plusieurs reprises. L’astucieux moyen de défense de la créature faisait qu’à chaque fois, elle lui renvoyait le reflet des étoiles et de la lune. Désorienté par tant de mirages, Ménard a fini par décharger son fusil… contre la constellation d’Orion. Les étoiles se sont mises à clignoter, à pâlir…
Ménard, paniqué, a couru jusqu’en ville en hurlant qu’il avait tué le ciel. Comme il s’agissait d’un accident de chasse inusité, on a réveillé le bon docteur Ferron, justement de passage, et qu’on savait spécialiste des cas insolites.
— Perforation de la voûte céleste, diagnostiqua-t-il. Je dois opérer sur-le-champ.
Devant un cas aussi singulier, le docteur dut improviser. Il a donc rapaillé du cuivre du toit du Château Frontenac, des poutrelles d’acier du pont de Québec, des pavés de la place Royale, des monceaux d’archives de l’Assemblée nationale pour se constituer sa propre étoffe du pays. Instruit sur le climat stellaire (dans ces années-là, on ne pratiquait la conquête spatiale que par temps de guerre froide), il a enfilé un suit de motoneige avant de grimper là-haut. Malgré la poudrerie solaire, le docteur, point cardinal après point cardinal, a suturé la blessure du ciel.
François Ménard, en bas, a reconnu une vague forme dans la cicatrice. Mais qui n’avait rien à voir avec l’Orion que tous connaissaient. Ça ressemblait à quelque chose comme un rhinocéros en train de manger des confitures…
C’est bien connu, rien ne résiste à l’expansion de l’univers. Avec le temps les points de suture sont tombés, les étoiles se sont dispersées. Le fil tissé de Vieille Capitale dérive encore quelque part dans le système solaire. Il n’y a qu’une rue aujourd’hui pour se souvenir qu’une constellation patentée a scintillé autrefois dans le ciel de Québec.
Mais, peut-être qu’au plus profond du territoire, subsiste encore un troupeau de rhinocéros des bois, une harde miroitante qui n’attend que l’occasion renouvelée de nous faire découvrir l’univers. Qui espèrent qu’on se souvient du bon docteur Ferron et de sa conquête spéciale.
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