L’art de vivre à l’anglaise
Dès l’allée bordée d’arbres, le domaine Cataraqui se révèle magnifique et dépaysant. Au cœur de la propriété, les dépendances, la villa néoclassique, les serres et les jardins, tous restaurés, nous transportent dans l’univers bourgeois des siècles passés. On s’imagine alors facilement Catherine Rhodes et le peintre Percyval Tudor-Hart jardinant côte à côte ou recevant pour le thé dans l’atmosphère feutrée de leur grand salon.
Un grand domaine…
Au début des années 1830, le marchand écossais James Bell Forsyth, actif notamment dans le commerce du bois, établit sa résidence d’été sur ce site. Il baptise les lieux du nom de Cataraqui en souvenir de sa ville natale, Kingston (Ontario), dont ce fut la première appellation. À peine dix ans plus tard, la maison d’été devient la résidence principale de la famille Forsyth.
Le domaine Cataraqui passe à un autre marchand de bois prospère, Henry Burstall, au milieu du 19
e siècle. Sur les fondations de la maison de Forsyth, le nouveau propriétaire fait ériger une grande résidence néoclassique à deux étages. Les plans sont de l’architecte renommé Edward Staveley. Des dépendances et une serre s’élèvent derrière la villa.
Le marchand Henry Burstall (sur la photo) achète Cataraqui de James Bell Forsyth en 1850 et le remodèle entièrement. Il y construit la plupart des dépendances et une nouvelle villa. Il conserve toutefois le nom du domaine. Forsyth l’avait choisi en hommage à son lieu de naissance, Kingston en Ontario, autrefois le site du fort Cataraqui.
Source : Université McGill, Fonds Rhodes/Tudor-Hart
Henry Burstall fait construire sa nouvelle villa selon les plans de l’architecte Edward Staveley. Le bâtiment de style néoclassique est terminé en décembre 1851. Burstall y annexe un vaste jardin d’hiver en 1856. L’ensemble sera agrandi en 1860 pour accueillir le gouverneur général, puis à nouveau six ans plus tard.
Source : Université McGill, Fonds Rhodes/Tudor-Hart
… qui gagne en magnificence
À la suite de l’incendie de Spencer Wood (Bois-de-Coulonge) en 1860, Cataraqui devient temporairement la résidence du gouverneur général du Canada-Uni. Pour répondre aux nouvelles fonctions protocolaires, on ajoute une aile à l’est de la villa. Cataraqui y accueillera notamment le futur roi Edward VII et son frère, le prince Alfred.
En 1863, le riche homme d’affaires Charles Eleazar Levey acquiert Cataraqui, qu’il transforme en un magnifique domaine « empreint d’un romantisme proprement victorien ». Il confie l’aménagement de ses jardins au célèbre Peter Lowe, ancien jardinier en chef de Spencer Wood. De grandes serres sont alors construites, dont une serre viticole unique dans la région. Levey fait également ajouter une aile et un jardin d’hiver à l’ouest de la villa, puis il fait construire des bâtiments secondaires. Cataraqui est aussi un grand domaine agricole doté de pâturages.
À l’époque de Catherine et Percyval
Le domaine est acquis par Godfrey William Rhodes, magnat des chemins de fer, au début du 20e siècle. Sa fille Catherine en hérite en 1932, trois ans avant son mariage avec le peintre Percyval Tudor-Hart, qui fait alors carrière en Europe. Le couple partage une passion pour l’art et l’aménagement paysager, dont bénéficiera grandement Cataraqui.
Percyval embauche des chômeurs de Sillery pour réaménager les lieux et donner au terrain des formes plus artistiques. Il plante des arbres fruitiers et conçoit un judicieux système d’irrigation souterrain pour les nourrir. De son côté, Catherine crée une roseraie et des platebandes de fleurs. Avec son amie Mary Stewart, elle conçoit aussi une rocaille, en bordure de la falaise.
En 1935, Catherine Rhodes (1888-1972) épouse son ancien professeur de peinture à Paris, l’artiste montréalais Percyval Tudor-Hart (1873-1954). Elle lui fait aménager à Cataraqui un vaste atelier où il travaille sur son œuvre maîtresse, Le premier péché, qu’il souhaite transformer en tapisserie. La version peinte, presque terminée, est présentée en 1943 au Musée de la province de Québec. Elle sert de décor à la photo ci-contre.
Source : Collection privée
Vivre en autarcie
Cataraqui vit presque entièrement en autarcie. On y produit du lait, du poulet, des œufs et du sucre d’érable. On cultive également des fruits et des légumes et, dans les serres, des framboises blanches, des asperges et des champignons, dont Percyval raffole.
Les Tudor-Hart ont plusieurs employés et domestiques : régisseur, fermiers et jardiniers, qui s’occupent des champs, des granges, des écuries, du poulailler, des serres et des potagers. Il y a aussi le personnel de maison et un chauffeur, monsieur Brown, qui conduit la Rolls-Royce que Percyval a reçue de sa belle-mère en cadeau de mariage.
Le charme discret de la bourgeoisie
La villa regorge de meubles de qualité, dont certains sont en acajou ou en bois de rose. On y retrouve aussi deux grands pianos rapatriés de la résidence londonienne de Percyval. Un tapis persan recouvre le plancher du grand salon.
Dans ce domaine luxueux, le couple lit, écrit, jardine ou reçoit des amis. Catherine aime particulièrement le jardin d’hiver de l’aile ouest et la serre attenante, où se cache, parmi les poinsettias, les cerisiers de Jérusalem et les hibiscus géants, un bassin d’eau rempli de poissons, de tortues et de grenouilles. De son côté, Percyval travaille à la réalisation d’une grande tapisserie, Le Premier péché. L’œuvre amorcée en 1926, aujourd’hui conservée au Musée royal de l’Ontario, sera terminée par Catherine, également peintre, après la mort de Percyval, en 1954.
Préservation d’un patrimoine exceptionnel
Après le décès de Catherine Tudor-Hart en 1972, l’avenir du domaine est incertain. Mais trois ans plus tard, le gouvernement du Québec acquiert et classe Cataraqui pour assurer la préservation du seul domaine de Sillery conservé presque intégralement, comprenant une villa, des dépendances et des jardins. Il en confie la gestion et l’animation à la Fondation Bagatelle en 1994, puis à la Commission de la capitale nationale du Québec en 2002.
Le domaine restauré accueille des événements privés et, publics et corporatifs, en plus d’être une antenne de l’École hôtelière de la Capitale. Le public est également libre d’y circuler à sa guise pour admirer entre autres les jardins, les potagers restaurés et la roseraie, qui évoquent inévitablement Catherine et Percyval. Car Cataraqui conserve vivant le souvenir des Tudor-Hart, qui représentent si bien un mode de vie et une époque désormais révolus.
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