La rencontre de deux mondes
La maison des Jésuites-de-Sillery, bâtiment patrimonial d’exception, occupe un site d’une richesse remarquable. Fréquenté pendant des millénaires par des Autochtones, le secteur est choisi au 17e siècle pour devenir la première « réduction » d’Amérique du Nord. Cette importante mission religieuse donne naissance à Sillery. Elle provoque toutefois un important bouleversement culturel et son territoire continu d’être revendiqué par la Nation Huronne-Wendat.
À la gloire de Dieu
Au début du 17e siècle, la France baigne dans un climat de piété alimenté par un mouvement de renouveau catholique. La colonisation de la Nouvelle-France se double d’un idéal religieux : christianiser les habitants du Nouveau Monde. Pour faciliter les conversions, les Jésuites envisagent la création d’une réduction semblable à celle qu’ils ont fondée au Paraguay pour les Guaranis. « Réduits » à la sédentarité, les Autochtones seront plus facilement christianisés.
Le supérieur des Jésuites, Paul Le Jeune, choisit d’établir cette réduction dans l’actuelle anse de Sillery. L’histoire a retenu pour ce site le nom innu (Montagnais) de Kamiskoua-Ouangachit mais il est fréquenté depuis longtemps en saison estivale par des Autochtones de diverses nations qui viennent y pêcher. La réduction devient la mission Saint-Joseph et les terres environnantes, Sillery, en l’honneur de Noël Brûlart de Sillery, un aristocrate fortuné qui participe financièrement à l’implantation de la mission.
L’aménagement
Les travaux de défrichement débutent au printemps 1637. L’année suivante, la première maison des Jésuites est prête. Les pères Le Jeune et de Quen y aménagent avec une vingtaine de personnes au total, dont les familles des chefs innus (Montagnais) Negabamat et Negaskoumat.
Cette première maison de pierre est une construction de qualité de plus de 12 mètres de longueur. Elle comporte deux niveaux de plancher et une cave pour l’entreposage. D’autres maisons « à la française » sont érigées dans les années suivantes. Des recherches archéologiques ont révélé que la mission compte une dizaine de bâtiments avant 1657, dont plusieurs sont pourvus de caves et de murs mitoyens, comme en milieu urbain.
La bourgade
En 1643, une trentaine de familles autochtones chrétiennes, surtout montagnaises et algonquines, sont installées à la mission, ou à ses abords. Elles logent pour la plupart dans des cabanes d’écorce. La bourgade est fréquentée aussi par des Attikameks et des Hurons-Wendats. Des missionnaires et des explorateurs y font escale. Des colons d’origine française viennent également y payer leur dû car la maison des Jésuites sert de manoir seigneurial. En 1651, la seigneurie de Sillery est concédée aux Autochtones convertis, sous la tutelle et l’administration des Jésuites. Elle sera officiellement redonnée aux seuls Jésuites en 1702, un acte que les Hurons-Wendats considèrent comme une dépossession et qu’ils contestent depuis la fin du 18e siècle.
Pour se protéger des Haudenosaunee (Iroquois), les religieux font entourer la bourgade d’une palissade de pieux, puis d’une fortification de pierre. La mission a sa chapelle et un cimetière clos, qui s’ajoute au cimetière autochtone situé sur le promontoire, au lieu-dit la Butte-aux-Sauvages. Plus loin s’étendent les terres cultivées, près d’un moulin à vent construit en 1648.
Choc des cultures
Dans la mission, des odeurs de poisson boucané flottent dans l’air. On y entend des chants aux accents français et autochtones. Au son de la cloche, les néophytes se rendent à l’instruction religieuse et à la prière publique. Les Jésuites convertissent des dizaines d’Autochtones annuellement. Mais les travaux des champs ont moins de succès. Les convertis préfèrent nettement la chasse et la pêche, surtout l’hiver, alors qu’ils quittent massivement la mission pour traquer dans les bois l’orignal et le caribou.
La mission procure certains avantages aux convertis. On peut y obtenir des secours en vivres, ou y laisser les vieillards et les jeunes enfants pendant la grande chasse d’hiver. Mais surtout, l’enceinte fortifiée protège des raids des Haudenosaunee. En contrepartie, les Autochtones qui vivent à la mission sont confrontés aux coutumes chrétiennes et lois françaises, aux possibles châtiments corporels et à l’emprisonnement. L’enseignement jésuite condamne notamment l’adultère et le divorce, en plus de consacrer l’autorité du mari. Cela entraîne, dans ces sociétés matricentristes, la détérioration des rapports entre les hommes et les femmes. Des conflits éclatent également entre les convertis et les non-convertis qui fréquentent les abords du bourg.
Nouvelles vocations
Les épidémies frappent durement la mission. Puis le feu, en 1657, détruit presque entièrement le bourg de Sillery. On reconstruit, mais les Autochtones désertent les lieux. L’activité missionnaire reprend avec l’arrivée en 1676 de centaines d’Abénaquis, chassés de la côte atlantique par la colonisation anglaise. À la fin du 17e siècle, la bourgade est affectée par un nouvel incendie qui met fin à toute activité missionnaire.
Les Jésuites continuent l’exploitation agricole du domaine. L’actuelle maison des Jésuites-de-Sillery est construite dans le premier tiers du 18e siècle pour servir aux besoins de la ferme. Après la Conquête, on la loue à des membres de l’élite britannique, puis à des marchands de bois. La romancière Frances Moore Brooke l’habite avec son mari dans les années 1760. Elle y rédigera The History of Emily Montague, premier roman écrit au Canada.
L’importance historique de la maison est reconnue en 1929, mais son avenir demeure longtemps incertain. Aujourd’hui, le bâtiment restauré est devenu un centre d’interprétation reconnu. Les milliers d’artefacts découverts à ses abords racontent pour leur part l’histoire d’un site historique majeur, essentiel à la mémoire collective.
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Reconstitution 3D
Voyez l’évolution du site de la maison des Jésuites-de-Sillery, qui témoigne de plusieurs millénaires d’histoire.
Artefact
Assiette, 17e ou 18e siècle
Faïence anglaise ou hollandaise
Cannelle de tonneau, 17e siècle
Alliage cuivreux
Chaudron, 17e siècle
Laiton
Crucifix, 17e siècle
Bois et alliage cuivreux.
Site de la Maison des Jésuites de Sillery
Laboratoire et Réserve d'archéologie du Québec, Ministère de la Culture et des Communications du Québec
Fer de hache, 17e siècle
Fer forgé, Avec étampe IHS
Godet à onguent, 17e siècle
Faïence
Site de la Maison des Jésuites de Sillery
Grelots, 1637-1651
Laiton
Pipe autochtone, 1637-1651
Argile façonnée et cuite
Images anciennes